Encore un tombé dans le panneau. Un cerveau félin se laisse si facilement prendre. Et celui de Voleur des Bois n'avait pas fait exception. Qu'il avait été dupe et naïf. Les chats donnant facilement leur confiance avaient le don de m'exaspérer. Comme s'il n'était pas évident qu'il ne fallait pas se fier au premier venu. Mais ils étaient tous comme ça, et elle l'avait été également autrefois. Pourtant ma vision des choses avait changée grâce, ou à cause, de Maleficent, ma mère. Et depuis, j'usais de la ruse pour tous les faire tomber un à un. C'était si aisé de contrôler un esprit. Et Voleur des Bois serait le prochain à tomber dans mon piège. Rien de mieux pour en apprendre plus sur ces Clans que d'avoir un complice parmi eux.
Fière de mon coup, je me levais ce matin là de bonne humeur, ce qui était plutôt rare. Je n'avais aucun intérêt à commencer avec bonheur une journée, puisque la vie vous arrachait le bonheur si facilement. Mais pour une fois, j'étais heureuse de mon coup. Je pouvais m'installer officiellement dans le coin et commencer mes petites affaires. Hormis l'intention de rallier Voleur des Bois à ma cause pour mieux connaître et maîtriser les Clans, je me devais de me faire des alliés. Je ne pouvais décider d'écraser chaque félin clanique sans un peu d'aide. Et je ne pouvais trouver cette aide que parmi les matous comme moi, les chats errants et solitaires. Je devais en apprendre plus sur eux, les connaître et leur donner ce qu'ils voulaient pour que j'obtienne leur confiance. Plus j'aurais de cartes à jouer, plus je serais puissante. Et avoir toute une troupe de solitaire derrière moi était encore mieux qu'avoir un bon jeu.
Sournoisement, je descendis de la corniche où j'avais établi mon nouveau repère. De là, je pouvais observer tous les territoires des Clans, et savoir ce qu'il se passait à chaque instant. C'était le point le plus stratégique de tous les territoires. Parfois, certains chats venaient observer les étoiles ou autres phénomène. Je me cachait dans le bois derrière, et observait ces félins pour en apprendre plus. J'y avais souvent trouvé le chef du Clan de la Brume, nommé Etoile de Mandragore. Mais étrangement il ne venait presque plus. Tant pis, d'autres passaient par là quelque fois. Prenant le chemin des terres libres, je me remémorais les descriptions que m'avait faites Voleur des Bois. Il avait été mon guide à travers ces territoires, et je m'y repérais mieux désormais.
Il était tôt dans la matinée lorsque j'arrivais près du Saule Solitaire. Grand arbre majestueux et sans doute tout aussi vieux. Si je grimpais au sommet, je pourrais observer les alentours, et peut être croiser le chemin d'un autre solitaire. Prenant mon élan, je plantai mes griffes dans l'écorce puis commençai à monter. Sautant de branches en branches, j'atteignis la plus haute, et m'allongea confortablement sur celle-ci. J'avais une vision plutôt large du périmètre ce qui m’arrangeait. Il ne restait plus qu'à attendre que quelque chose se passe. En attendant, j'observait le territoire le plus proche, celui du Clan de la Brume. Sur la berge opposée d'une rivière, je pouvais voir au loin un groupe de chats, semblant être occupés à renouveler un marquage. Ils étaient quatre, dont un plus jeune. Si je me souvenais bien, j'avais entendu dire qu'ils avaient une hiérarchie en fonction de leur âge ou expérience. Guerriers, apprentis, reines, tout un tas de noms qu'il me fallait encore analyser.
Soudain, des aboiements me sortirent de mes pensées. Tournant brusquement la tête vers la provenance du son, je remarquai alors un félin se faire courser par deux petits chiens, venant tous trois dans ma direction. Me tapissant entre les feuilles, j'observais la scène sans un bruit. Le matou grimpa à l'arbre pour se mettre en sécurité, et se posa quelques branches sous la mienne. Il ne semblait pas m'avoir vu, et les chiens hurlants au pied du saule non plus. Je restai un moment à observer les réactions du mâle crème. Il semblait vouloir attendre patiemment que les canins abandonnent, mais ils semblaient bien décidés à rester. Alors il s'installa là, comme exaspéré par la tournure des événements. Souriant à cette opportunité, je me relevai, faisant en même temps bouger les branchages. Mouvement que remarqua le minet, et se retourna dans sa direction. J'attendis patiemment qu'il m'atteigne, et quand il se retrouva à ma hauteur, un cri de mauviette s'échappa de sa gorge.
« Eh, c’est mon arbre ! »C'est tout ce qu'il avait trouvé à dire ? Je détaillai le matou. Il n'était pas vraiment imposant, et semblait même un peu maigrichon sous son pelage crème. Il devait probablement avoir faim. J'avais une petite envie de ricaner, mais je me retins et me leva pour me diriger vers lui.
« Il semblerait pourtant qu'aucun marquage félin n'émane de cet arbre. Il n'appartient donc à personne, et tu ne peux revendiquer sa propriété. Je suis alors en droit de me tenir sur cette branche. »Sans croiser son regard, je descendis d'une branche ou deux, avant de me retourner de nouveau vers lui. Avec un sourire amical, je poursuivis.
« Dis moi, tu ne vas pas passer ta vie à attendre ici que ces chiens s'en aillent j'espère ? Tu mourras de faim bien avant. »Si je le faisais sortir de cette situation, il serait plus prompt à faire copain-copain. Et quoi de mieux qu'aider quelqu'un pour qu'il vous fasse confiance ? Ce serait un jeu d'enfant.